Conférence par Yann Potin, chargé d’études documentaires au département de l’Éducation, de la Culture et des Affaires sociales aux Archives nationales, et Thomas Hirsch, post-doctorant dans le cadre du labex Hastec/Archives nationales, et avec la participation de Philippe Joutard, président de l’association Lucien Febvre et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales / Aix Marseille Université, et de Brigitte Mazon, EHESS

A la faveur d'un dépouillement des archives des plus anciens versements du CNRS (Archives nationales, 19800284), pour l'immédiate après-guerre, un manuscrit de Lucien Febvre a pu être identifié au sein des dossiers et procès-verbaux de refondation du Centre national de la Recherche scientifique. Inédit et non signé, il apparaît comme la marque de l'insigne influence de celui qui avant la guerre avait été chargé par le ministre de l'Education nationale Anatole de Monzie de refonder une « encyclopédie » française, sur le modèle du précédent de Diderot et d'Alembert.

Dès septembre 1944, autour de la haute autorité scientifique que représente Frédéric Joliot-Curie, la recherche fondamentale se propose de refonder une France meurtrie dans un monde encore en guerre. Les blessures béantes de l'Occupation exigent aux yeux de tous le recours aux remèdes de la Science.
Il s’agit de redistribuer le savoir ancien en une dynamique nouvelle : ce qui va pour la première fois s'appeler « sciences de l'homme », dans une acception institutionnelle en France, répond en fait à une véritable volonté de réforme et de reformation du savoir de l'homme sur l'homme.
Pour la première fois, et de manière ambitieuse, l'Etat s'engage à financer une recherche fondamentale pour l'ensemble de sciences qui ne sont pas encore tout à fait mis à distance des sciences « dures ». Un débat sur la place du droit et de l'économie dans ce qui paraît être d'abord un conflit sur les termes – sciences sociales ou sciences humaines – traverse l'ensemble des discussions entre les membres du directoire : ces documents, sous la forme de véritable verbatim dactylographiés, offrent une perspective vivant sur les lignes de partages et les rapports de force alors en œuvre entre des disciplines qui ne sont pas toutes, loin s’en faut, représentées au sein de l'Université.

Au-delà de ce document unique, l'intervention proposera une présentation de ces premiers procès verbaux (dont le premier date de septembre 1944), dans une France encore en guerre, en vue d'étudier la reconfiguration ou la reconnaissance institutionnelle de « sciences » en gestation depuis le début du siècle (sociologie, ethnologie, mais aussi psychologie ou encore préhistoire). La place accordée à l'histoire apparaît éminente dans le propos de Lucien Febvre, au point de dessiner une voie singulière de la recherche française, où l'histoire se propose de couronner l'ensemble de ces sciences de l'homme. La résistance rencontrée au CNRS encouragera Lucien Febvre à viser la création en 1947 d'un institution autonome, la VIe section de l'Ecole pratique des Hautes études.