Conférence d'Henri Pinoteau, conservateur du patrimoine, Département Environnement, Aménagement du Territoire et Agriculture aux Archives nationales, et Pierre Cornu, professeur d’histoire rurale contemporaine à l’université de Lyon-II

Le lien entre la bergerie de Rambouillet et le développement en France d’un élevage ovin scientifiquement fondé remonte à la fin de l’Ancien Régime, lorsque Louis XVI, venant d’acheter à grands frais ce domaine à son cousin le duc de Penthièvre, décide en 1785 de construire dans le parc du château une ferme modèle, destinée à l’accueil d’animaux de rente d’origine étrangère.

Dès l’année suivante, la bergerie royale voit l’installation d’un troupeau de 366 mérinos d’Espagne, dont l’exportation avait été accordée pour la première fois de façon officielle par le roi Charles III. Ces animaux réputés pour la finesse et la longueur exceptionnelles de leur laine devaient permettre à la France d’améliorer son cheptel ovin et par là-même de concurrencer la production lainière de l’Espagne, de l’Angleterre et des Pays-Bas.

Ces animaux sont dès lors élevés dans une totale consanguinité, sans l’apport de reproducteurs extérieurs, formant ainsi, par sélection raisonnée interne à l’établissement, la race mérinos dite de Rambouillet. Enjeu commercial de première importance jusqu’au premier tiers du 19e siècle, l’industrie de la laine suscite alors un véritable engouement scientifique, le mérinos et sa toison étant soumis à une observation particulièrement soignée du monde savant. Celle-ci génère un exceptionnelle profusion de représentations, changeant naturellement au gré des innovations techniques et de la scientifisation du regard zootechnique, mais accompagnant sans discontinuité le développement du troupeau de Rambouillet jusqu’à nos jours. Le déclin de l’industrie lainière française ne remet en effet nullement en cause l’institution de Rambouillet, qui devient à la fois école de bergers et lieu de recherche sur l’élevage et la sélection animale.

Les archives de la Bergerie de Rambouillet, collectées en 2016 par les Archives nationales, recèlent des trésors en la matière, notamment une collection de plaques de verre photographiques représentant ces mérinos dans les années 1920 sous un angle zootechnique, dans une phase historique majeure pour la compréhension des mutations du rapport à l’animal, non plus seulement « belle bête » appréciée selon des critères esthétiques par des « juges » appartenant au monde de l’élevage, mais animal normé par un savoir académique, le phénotype de chaque animal étant apprécié selon un nombre déterminé de variables, notamment des mesures précises de sa « conformation ».

Pourtant, la photographie, et singulièrement la plaque de verre, perpétue dans cet âge de la rationalisation l’image pluriséculaire de l’animal domestique et génère une polysémie de la source iconographique d’un intérêt tout particulier pour notre temps présent, qui semble redécouvrir brutalement l’intimité de la relation homme-animal et ses contradictions entre pratiques et imaginaires.